Interview d'Arlette Schlumpf

«J’ai rencontré Arlette Schlumpf».

Propos recueillis part Igor Biétry redacteur adjoint à la Vie de l’Auto.

Pour la première fois depuis plus de vingt ans, madame Arlette Schlumpf, veuve de Fritz Schlumpf, a accepté de rencontrer un journaliste. Cette première prise de contact s’est déroulée en Alsace !

Après plusieurs mois de démarches infructueuses et fin de non recevoir de la part d’un des avocats de madame Schlumpf, c’est sur le point de renoncer que le hasard m’a permis de rencontrer Lionel Patenostre, confident d’Arlette Schlumpf : «Vous voulez rencontrer Arlette ? Je vais essayer d’arranger un rendez-vous. Attention, ce ne sera pas facile, madame Schlumpf ne porte pas les journalistes dans son cœur et je ne peux rien garantir». Un mois plus tard, je reçois un coup de fil : «C’est OK, madame Schlumpf est d’accord pour vous recevoir, elle lit LVA et a vu votre article concernant le déménagement des voitures de Malmerspach…».

Qu’est-ce que je fais ? Je monte sur mon bureau pour danser la bourrée ou je chante à tue-tête « C’est la fête ! »… J’ai failli faire les deux !

Arlette Schlumpf

C’est au cœur des vignobles qui bordent la fameuse côte de Turckheim-Trois Epis que madame Schlumpf nous reçoit dans la villa Schlumpf. La rencontre se déroule chez elle, en présence de trois conseillers afin d’éviter tout propos qui pourrait prêter à polémique. Madame Schlumpf nous fait patienter quelques instants… Dans le jardin, on retrouve des lampadaires déjà vus ailleurs.

«Bonjour monsieur, ça me fait très plaisir de vous recevoir !».

Mon hôte est maquillée comme une reine, habillée de façon très moderne et porte non sans charme mille et un bijoux fantaisie. Arlette est un personnage, beaucoup de femmes rêveraient d’être aussi bien préservées du temps. Ceci n’engage que moi, mais je trouve qu’elle a quelque chose de Brigitte Bardot.

Dans l’entrée, une Bugatti Type 52, dans chaque pièce une autre voiture. Non pas à pédales mais un ancêtre par-ci, une Bébé Peugeot par-là, une Piccolo du début du siècle en bas, le décor de la villa est constitué de mille et un éléments de voiture ancienne. Fritz Schlumpf est encore là, ça ne fait aucun doute !

– Merci de nous accueillir
Vous savez, pour moi c’est très difficile de parler avec un journaliste. Vous ne pouvez pas imaginer ce que certains ont pu écrire. Nos propos ont été bafoués, déformés, c’était systématique. Ils nous ont traînés dans la boue, alors c’est vrai qu’aujourd’hui je voudrais que ce soit une nouvelle prise de contact, si tout se passe bien nous pourrons nous revoir. J’ai beaucoup de choses à dire vous savez et je ne veux plus que les propos des Schlumpf soient déformés.

J’ai bien compris que cet entretien est aussi un test pour moi.

– Vous avez connu toutes les plus belles voitures qui aient été construites, laquelle préférez-vous ?
Ma voiture préférée c’était la 300 SL. Parce qu’elle était superbe, ses portes papillon et la façon dont mon mari savait la faire ronronner. Fritz était un bon conducteur, il a couru en courses de côte et a gagné beaucoup d’épreuves dont je garde précieusement les trophées. C’était un fou de mécanique, un vrai passionné, il n’était pas rare qu’il assiste à des courses, pour le plaisir. Je me souviens d’une anecdote marrante avec cette Mercedes… Mon mari avait obtenu l’autorisation de tourner sur la piste de l’aéroport de Strasbourg. Le chef de la tour de contrôle lui avait précisé qu’il lui enverrait une fusée au cas où un avion arriverait. Moi, j’étais dans la tour également et en voyant mon mari tourner de plus en plus vite j’ai pris peur. J’ai donc demandé au chef de la tour d’arrêter mon mari, ce qu’il fit en envoyant la fusée. Fritz s’arrêta et monta jusqu’à la tour. Il ne comprenait pas pourquoi on lui avait demandé de s’arrêter alors qu’il n’y avait pas d’avion !

– «Non, c’est moi qui ai demandé que vous vous arrêtiez, j’ai eu peur». Il m’a sourit et a dit : «Ah les femmes !» Il ne m’en a jamais tenu rigueur…

Nous vivions intensément, j’ai appris à aimer les sensations fortes, la vitesse, alors j’étais ravie avec cet homme. J’ai un si profond respect pour lui, il m’a fait vivre des choses très fortes. Même l’affaire Schlumpf, croyez-moi ce fut une sacrée source d’émotions fortes, les événements n’ont pas été simples à vivre…

– On a tout lu, tout entendu sur votre mari, mais qui était-il vraiment ?
Mon mari était une très forte personnalité. Il avait son caractère certes, comme tous les hommes. Il était très droit et ne mentait jamais. C’est moi qui le dit, j’ai vécu avec lui, il ne disait jamais un mensonge. Il avait une allure très digne, il était réservé et il fallait qu’il apprenne à connaître les gens avant de se livrer. C’est sans doute pour cela que les personnes qui ne le connaissaient pas le trouvaient hautain. Il faut savoir que Fritz était un gentleman, il avait une très bonne éducation. C’était un homme très profond je vous assure et il était recherché pour son caractère. On a donné une très mauvaise image de Fritz Schlumpf mais je crois sincèrement qu’il avait quelque chose d’exceptionnel et un véritable génie créateur. Beaucoup de gens l’appréciaient et quand il m’arrive de rencontrer des anciens employés de mon mari, c’est toujours avec une très grande courtoisie qu’ils se comportent avec moi. Certains me plaignaient même en me disant qu’ils ne comprenaient pas pourquoi il y avait eu un tel acharnement sur notre famille.

– Quelles étaient les relations que vous lui connaissiez avec ses employés ?
Il était parfois dur, certes, mais sachez qu’il ne se faisait pas de cadeaux non plus. Il avait beaucoup de responsabilités, il se levait tous les matins à 4h00, allait à Malmerspach, Mulhouse, dirigeait ses entreprises. Il supportait beaucoup de stress. Heureusement, il était très épaulé par Hans son frère, beaucoup plus calme et tous les deux formaient un très bon tandem. Mon mari disait de son frère : «C’est mon aîné, c’est mon second dans les affaires, et quel brillant second».

Arlette et Fritz Saint-Tropez

– Vous accompagniez régulièrement votre mari lorsqu’il allait dénicher une nouvelle voiture, avez-vous une anecdote marquante à ce sujet ?

Je me souviens notamment de la fois où nous avons été chercher la Voisin C28. Elle appartenait à un couple de personnes âgées qui habitaient à Villefranche-sur-Mer, une superbe maison. Ils avaient écrit à mon mari qu’ils aimeraient le voir. Nous avons pris quelques jours de vacances et nous sommes partis pour rencontrer ces personnes. Ils étaient charmants. Au moment de la négociation, je me souviens que le monsieur a dit à mon mari qu’il ne voulait la vendre qu’à lui ! Au fur et à mesure de la conversation, ils sont devenus très tristes. Alors mon mari leur a dit : «Écoutez, l’affaire n’est pas faite, si cela vous coûte trop de la vendre gardez-la, ce n’est pas un problème pour moi». Alors la dame s’est mise à pleurer et a dit à mon mari : «A vous, monsieur Schlumpf, on ne devrait pas la vendre cette voiture… on devrait vous la donner. Nous sommes tellement heureux que ce soit chez vous qu’elle aille cette voiture».

A l’image de ce couple de Villefranche, beaucoup de gens ne voulaient vendre leur voiture qu’à mon mari. Il faut dire que c’était un vrai passionné. En plus il était viscéralement collectionneur. Quand il était plus jeune, c’était les papillons, les soldats de plomb puis les timbres poste. Il aimait les belles choses du passé, il adorait les motos aussi. Alors, quand il a été à l’apogée de sa carrière, en tant que PDG des usines de Malmerspach, il n’avait que 32 ans, il s’est mis à collectionner les voitures. Il aurait très bien pu collectionner d’autres choses, peut-être d’ailleurs que cela lui aurait coûté moins d’ennuis, mais que voulez-vous, sa passion c’était la belle automobile.

– Quelle fut la première voiture que vous lui ayez connue ?
Moi la première voiture de collection que j’ai vue de lui, c’était une Buick noire avec les pneus à flancs blancs. Je me souviens aussi que nous sortions avec une Bugatti carrossée. Elle était jaune et noire.

– Un Type 57 ?
– Oui c’est ça !

– Ces voitures font aujourd’hui partie de la collection « mulhousienne », que pensez-vous du remaniement en cours ?
Je ne veux pas faire de déclaration à ce sujet. La seule chose que je suis en mesure de vous dire: Premièrement, la cour d’appel de Paris a imposé un certain nombre d’obligations qui sont actuellement violées, de plus on transforme complètement le musée et on porte atteinte à l’image que Fritz et Hans Schlumpf avaient donnée au musée, transformant la conception et le souvenir qu’ils en avaient laissé. Je fais toutes réserves sur ces violations ainsi que mes conseils.

Je crois que si mon mari avait eu à l’époque un homme de droit à ses côtés comme celui que j’ai aujourd’hui, les choses n’auraient pas pris la tournure qu’elles ont prise. Je ne pense pas que nous aurions été spoliés comme nous l’avons été.

– Dorénavant, vous avez envie de dire un certain nombre de choses…J’ai un profond respect pour mon mari. Bien sûr il n’était pas parfait, il avait lui aussi des défauts, je ne veux en faire ni un martyr, ni un mythe, mais je voudrais que l’on cesse de bafouer sa mémoire et que l’on n’oublie pas que si la collection Schlumpf est à Mulhouse, c’est uniquement parce que lui avait choisi cette ville dans la mesure où il voulait rendre hommage à sa mère Jeanne qui était mulhousienne. Ce que vos lecteurs ne savent pas forcément, c’est que mon mari avait reçu des propositions mirobolantes d’un peu partout dans le monde pour y établir sa collection. Lui a tenu à ce qu’elle soit présentée à Mulhouse et c’est pour cela qu’aujourd’hui je voudrais qu’on y respecte l’œuvre de mon mari, sa mémoire et sa collection.

– Et les voitures de Malmerspach ?
Ce sont pour moi les voitures de l’an 2000 ! J’ai reçu plus d’une cinquantaine de propositions depuis le monde entier : Etats-Unis, Suisse, Allemagne et la France aussi bien sûr. Contrairement à ce que les journalistes ont annoncé, les voitures ne sont pas parties à l’étranger, elles sont toujours en France et je compte me donner un peu de temps pour réfléchir sur leur devenir. Vous savez mon mari a fini par me donner aussi le virus de la voiture ancienne ; d’ailleurs je lis régulièrement La Vie de l’Auto.

– Vous avez créé une association ?
Tout à fait, il s’agit de l’Association Fondation collection Schlumpf. Le but de cette association est de perpétuer la mémoire de Fritz Schlumpf et de défendre son œuvre. Là aussi, les choses vont se préciser prochainement avec notamment un site Internet sur lequel les collectionneurs du monde entier pourront communiquer avec moi et me faire part de leur soutien.

Pour conclure, je voudrais juste dire que si c’était à refaire, je le referais sans hésitation. Je suis très fière de cet homme. Je lutterai jusqu’au bout pour que l’on respecte sa mémoire et son génie créateur. Vous savez malgré tout, je n’ai d’animosité envers personne, moi, j’aime les choses simples de la vie, mon mari aussi d’ailleurs. Il faut savoir que lorsque nous étions à Malmerspach, Fritz avait dans son parc près de 70 chevreuils et des cerfs circa qui venaient lui manger dans la main. C’était un de ces grands bonheurs, ils ont disparus de façon très malheureuse.

– Merci madame Schlumpf de nous avoir accueillis chez vous.
Je suis ravie, c’est la première fois que j’accepte de m’entretenir avec un journaliste, j’espère que vous reviendrez prochainement. Il faut seulement me laisser un peu de temps, ce n’est pas facile pour moi de me livrer de but en blanc. Mais pour les lecteurs de La Vie de l’Auto, j’ai encore de belles histoires d’automobiles à raconter…

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